Messieurs et mesdames les ministres de Dieu,
Messieurs et mesdames les autorités politiques et
religieuses,
Chers parents et amis de l’illustre disparue,
Mesdames et messieurs les professionnels du livre,
Chères consœurs, chers confrères,
Mesdames et Messieurs,
Je viens, en cet instant de vive émotion, au nom de
l’Association des Écrivains de Côte d’Ivoire, rendre un suprême hommage à la
mémoire de Régina Yaou. Nous perdons en elle, l’un des écrivains, les plus
réguliers, les plus représentatifs et les plus expérimentés de notre pays. Elle
était des nôtres depuis un demi-siècle.
Dans notre famille d’hommes et de femmes de lettres,
on l’aimait comme l’aînée dont la seule présence dans un espace rassurait. Elle
était la grande sœur qui pouvait dire haut devant n’importe qui ce que tout le
monde pensait bas. S’il lui arrivait souvent d’élever la voix et de libérer des
plaintes, c’est parce que Régina Yaou avait une aversion hargneuse pour
l’injustice et l’hypocrisie. Des défauts, elle en a certainement.
Néanmoins, ce sont ses qualités, qualités littéraires et humaines, qui
m’autorisent, dans ce rituel, à l’offrir à la postérité comme un modèle. Le
modèle du travail, de l’abnégation, de la détermination, de la persévérance, de
l’excellence.
Dans tous les témoignages, lus et entendus ici et là,
on disait de Régina qu’elle était la diva de la littérature ivoirienne.
Souffrez, mesdames et messieurs, que je rappelle à nos
mémoires le prestigieux parcours de cette écrivaine, certainement l’une des
plus célèbres de notre pays.
Le 10 Juillet 1955, au moment où les dirigeants
africains encore sous le joug colonial, soupirent à l’indépendance, sur la
terre de Dabou, en pays adioukrou, les vagissements d’un bébé déchirent le
silence à la grande joie de ses parents. Une fillette, fragile et espiègle,
vient de naître. Ses géniteurs mentionnent sur son registre, à l’état
civil : Régina Yaou. À ce moment, ils sont loin d’imaginer que ce nom
va s’imposer comme l’un des plus respectés du monde de la culture de notre
pays.
Très tôt, la future écrivaine se fait remarquer par sa
passion pour la lecture. Une incroyable boulimie. À l’ombre de sa tante, une
sage-femme, elle dévore des magazines et des livres de tous les genres avec une
passion brûlante. Même au lycée technique, un établissement qui n’a pas pour
vocation la littérature, la flamme des lettres continuent de hanter son esprit.
Les mots, les textes et les histoires consommés au fil des années créent en
elle un besoin tyrannique de partager, d’écrire. Lorsqu’elle prend la plume la
première fois, les premiers textes qui en jaillissent sont des
poèmes. Cependant, en classe, ses copies en rédaction dégagent le capiteux
parfum des belles lettres. La jeune lycéenne griffonne de petits textes dans
l’intimité de sa chambre en attendant son heure.
Et un jour, l’occasion se présente. Les Nouvelles
Éditions Africains (NEA) lancent un concours littéraire. La jeune Régina y
participe, encouragée par sa grande sœur, en soumettant un texte écrit en
classe depuis la classe de seconde. Son ambition n’est rien d’autre que de
participer pour participer. À sa grande surprise, sa production retient
l’attention du jury. Son manuscrit, une nouvelle, intitulée La citadine,
est primée. Jacqueville, sans le vouloir, vient d’ouvrir la porte de son olympe
à une jeune fille, Régina Yaou.
La jeune fille, habitée par le magnifique virus de
l’écriture, n’en dort plus. Elle dévore les livres sans jamais assouvir cette
soif qui l’étreint. Observant les faits et évènements autour d’elle, son
imagination se met en branle. Elle invente des histoires et noircit des
feuilles dès qu’elle en a l’occasion.
En 1982, son premier livre est édité. Le
titre : Lezou Marie ou les écueils de la vie. Elle y aborde de
front la condition de la femme africaine prise dans les mailles des filets de
la tradition. Les lecteurs, surtout féminins, s’y retrouvent et en font leur
livre de chevet. Le nom de Régina Yaou s’incruste dans les esprits. Puis, elle
publie en 1985 La révolte d’Affiba, dans le même registre que le
premier roman. Puis vient Aihui Anka en 1989. Cette fois-ci, elle aborde le
sujet de la sorcellerie en Afrique.
Alors qu’elle avait maille à partir avec une certaine
critique qui lui reproche quelques failles dans l’économie de sa production, le
public l’applaudit et l’adopte. Encouragée par son lectorat et prenant en
compte les observations des critiques littéraires, Régina choisit d’améliorer
son style d’écriture. Les livres qui suivent révèlent une plume plus sereine.
Les phrases sont astiquées, des images, belles et originales, fleurissent ses
pages. Les intrigues de plus en plus délicates lui attirent des
satisfécits. Le Glas de l’infortune et L’indésirable finissent
par convaincre la critique qu’il faut désormais compter sur et avec cette jeune
dame.
L’œuvre de Régina Yaou, bâtie autour d’une trentaine
de livres, est un immense édifice, une cathédrale de mots, où année après
année, elle a ensemencé toute sa foi, toute son énergie. Elle y propose des
clés pour comprendre notre monde et notre époque. Les sujets qu’elle traite
sont le reflet de notre quotidien, avec ce qu’il a de profond, de grave, de
réel, d’actuel. De La citadine, la nouvelle qui l’a révélée, à son
dernier livre, Régina a consacré sa vie à peindre notre société, à ausculter le
cœur des hommes et des femmes, à faire voir le vécu et son versant.
Le réseau thématique de Régina est vaste. Il va des
problèmes de sentiments à la politique en arpentant le paranormal, la situation
de la femme, les mœurs. La religion n’échappe pas à son regard fouineur. L’Abbé
Anselme la rupture questionne impitoyablement les dogmes de l’église
catholique. L’évangélique qu’elle est a pris un grand risque en s’attaquant à
un sujet très sensible : le célibat des prêtres et leurs conséquences.
Malgré cela, le roman est accueilli par toutes les obédiences avec une certaine
philosophie. Les gens éprouvent souvent le besoin d’être bousculés pour se
réveiller et s’auto-inspecter.
Regina Yaou s'est
également essayée avec bonheur, sous des pseudonymes, à la littérature
sentimentale dans la collection Adoras chez NEI-CEDA et Clair de Lune chez
PUCI.
Mesdames et
messieurs,
Il est évident que le
récit est le genre de prédilection de Régina Yaou. Excellente romancière, elle
sait aussi se faire respecter dans le format court comme la nouvelle. Par
ailleurs, ses deux séjours aux États-Unis de 1991 en 1993 et en 2005, lui font découvrir
le thriller, un genre très populaire dans les pays anglo-saxons. Genre du
suspense, de la tension et des scènes torrides, le thriller trouve en Régina un
nouveau maître. Nous en voulons pour preuve Dans l’antre du loup et Opération
fournaise, deux illustrations on ne plus convaincantes.
Après une vie
professionnelle peu passionnante, Régina Yaou se consacre exclusivement à
l’écriture, sa véritable. Avant le 3 novembre, ce jour d’émoi où elle a déposé
la plume, elle avait plusieurs œuvres inédites, en cours de rédaction et en
projet.
Après plus de 40 ans
de présence dans l’univers de la création littéraire avec en prime plus de
trente livres, Régina acquiert le statut de Diva de la littérature ivoirienne.
De part et d’autre, les reconnaissances et les distinctions se dressent sur sa
trajectoire comme des poteaux lumineux.
En 2013, sa maison
d’édition, les NEI CEDA, célèbre ses 36 ans d’écriture et lui remet un trophée.
En 2014, la fille d’AKROU reçoit le Prix National d'Excellence pour la
Littérature de l'État de Côte d'Ivoire. En Mai 2017, au Salon International du
Livre d’Abidjan, elle est mise en lumière en tant qu’écrivaine à l’honneur et
reçoit un trophée sous les ovations des écrivains, des professionnels du livre
et ses admirateurs. En octobre 2017, un prix lui est décerné lors du Festival
Efrouba du livre de Grand Lahou. En novembre dernier, Akwaba Culture la
structure organisatrice du gala du Prix Ivoire la retient, avant son rappel à
Dieu, comme l’un des trois écrivains ivoiriens invités d’honneur et lui rend un
hommage lors de l’évènement.
Amis du livre
Mesdames et Messieurs
2017, comme vous le
constatez, est l’année de Régina Yaou. Elle a connu tous les honneurs. On a
l’impression que la nature, elle-même, a milité à ce que tous les honneurs lui
soient rendus avant l’heure de son départ. Régina Yaou, comme je l’ai dit à un
journaliste est une symphonie achevée.
L’AECI, sa famille
littéraire, après la présence de ses membres aux différentes étapes de ces
obsèques, projette d’organiser dans les semaines à venir une cérémonie
d’hommage exclusivement consacrée à notre illustre consœur. Avant cela, le PRIX
AECI-découverte de nouvelles destiné à révéler de nouveaux talents est
désormais baptisé « Prix Régina Yaou ». Ce prix sera
d’ailleurs remis lors de la Journée AECI prévue le 10 décembre 2017, dans le
cadre du Festival Indigo, à Grand-Bassam.
Mesdames et messieurs, chers parents !
Votre fille, votre sœur, votre mère a combattu le bon
combat. Vous pouvez être fière de sa vie, si utile, si édifiante. Que c’est
magnifique, une existence entière consacrée à un idéal. Que c’est beau une vie
entière tournée résolument vers le plaisir des lecteurs, vers la lumière à
apporter aux esprits.
Dans notre fratrie, surtout lorsque nous avons eu le
parcours de celle de notre illustre consœur, la mort est tel un impuissant vent
hargneux dans un verre d’eau. Impuissante, elle n’a aucun pouvoir sur nous.
Elle ne peut éteindre notre nom ni effacer les traces que nous avons laissées
sur du papier.
Régina n’est pas morte. Artiste, elle l’est et
l’artiste ne meurt pas. Elle est passée de la mortalité à l’immortalité. Là où
ni le temps qui passe inexorablement, ni les épreuves de la vie ne peuvent lui
porter un quelconque préjudice. Certes, nous ne la verrons plus physiquement,
certes son sourire et ses éclats de voix ont disparu de notre champ visuel et
auditif, cependant, comme une braise indomptable qui dort sous les cendres,
elle vit à travers son œuvre, tranquille et combien plus forte.
Hier Régina était simplement appréciée. Aujourd’hui
elle est vénérée. Demain encore plus. Nombreux seront ces lecteurs qui vont
relire ses livres pour jouir de nouveau de tout le suc que contient sa plume.
Des enseignants, des chercheurs, des étudiants, de critiques littéraires vont
revisiter, le regard plus attentif, l’esprit plus vif, ses écrits pour
découvrir dans leurs plis toute la richesse thématique et esthétique qui leur
avaient échappé.
De l’autre côté, Régina Yaou, comme une étoile
scintillera. Comme une luciole, elle clignotera comme pour nous dire, qu’elle
vit encore.
Régina n’a voulu qu’être un écrivain. Elle a été une
âme besogneuse qui au terme de sa vie peut se reposer en paix auprès de son
Créateur, comblée et fière de son labeur. Elle a laissé à la postérité un
immense héritage dont sa famille peut être fière. Un tel héritage suffit à la
consolation de ses deux familles, sa famille biologique et sa famille
littéraire.
Régina Yaou, ô illustre consœur, je dépose à tes
pieds, ce bouquet de mots, au nom des écrivains de Côte d’Ivoire.
Salut l’artiste !