Le Bureau
Ivoirien des Droits d’Auteurs (BURIDA) traverse une énième crise. Des voix
discordantes et virulentes se font entendre. Le Président de l’Association des Écrivains
de Côte d’Ivoire (AECI) fait des propositions. Entrevue.
***
Une nouvelle crise au BURIDA. Selon vous, qu’est-ce
qui se passe concrètement ?
Les crises à répétition au
BURIDA, à mon avis, tournent autour des questions financières, comme la plupart
des crises dans ce pays. Elles vont de la fronde de certains sociétaires qui se
sentent lésés aux problèmes liés à la gestion financière. C’est ce dernier
point qui a amené le ministre de la Culture et de la Francophonie, M. Maurice
Bandaman, à ordonner un audit il y a quelques mois. La conséquence immédiate de
ce contrôle a été la suspension de la Directrice générale. Une telle mesure
visait à faire baisser la tension.
Malheureusement, depuis l’annonce de l’élection d’un nouveau Président du
Conseil d’Administration (PCA), les hostilités ont repris.
Pourquoi
l’imminence de l’élection du PCA est-elle une cause de déflagration et quels
sont les candidats ou du moins les protagonistes de cette crise ?
Apparemment, les deux
protagonistes qui s’affrontent par des sociétaires interposés ce sont le PCA
sortant, M. Sery Sylvain et Fadal Dey, artiste du reggae. Par ailleurs, il y a
une bonne frange des sociétaires qui émettent des réserves sérieuses sur les
listings électoraux. Ces listings sont contestés car des noms de sociétaires,
et non les moindres n’y figureraient plus. Les contestataires parlent de
manipulation et de tripatouillage. Ils ont engagé une action en justice qui a
abouti à la suspension de l’Assemblée générale élective. Cette crise a fini par
engourdir le fonctionnement et le rendement du BURIDA.
Selon
vous, qu’est-ce qui pourrait justifier le silence du Ministre de la Culture ?
Il est mieux placé pour
répondre à cette question. Ce que je sais est que le Ministre de la Culture et
de la Francophonie, jusque-là, s’est gardé d’intervenir. Je pense qu’il préfère
laisser les sociétaires régler eux-mêmes leurs différends par voie judiciaire.
Je crois que sa posture est normale, elle répond à un esprit d’impartialité. Il
n’a pas voulu prendre parti pour un camp au détriment d’un autre. Pour le
moment, j’imagine qu’il suit de près la situation, en tant que tutelle.
À
quoi donc devrait-on s’attendre si cette crise perdure ?
Si cette crise gagne perdure, nous devons nous
attendre à des conséquences graves. Selon
les informations que nous avons glanées ici et là, c’est plus d’un
demi-milliard de francs CFA de perception que la maison a déjà perdus depuis le
début de cette crise. C’est énorme ! On se bat pour l’argent et pendant ce
temps, on perd de l’argent pour lequel on se bat.
Face
à cette crise qui s’enlise chaque jour, quelles sont les propositions du
Président l’AECI que vous êtes, car le BURIDA c’est aussi l’affaire des
écrivains ?
Des écrivains sont
effectivement aussi sociétaires du BURIDA. Ce n’est pas l’affaire des seuls
musiciens. Je le dis car ils sont nombreux les Ivoiriens qui ne le
savent pas peut-être. Personnellement, je pense que le Ministre de la
Culture ne peut pas continuer d’observer cette forme d’abstention. Je comprends
bien son attitude car dans ce pays les gens sont prompts à mal interpréter les
choses et à ruer dans les brancards.
Je propose que le Ministre
s’appuie sur certains points des statuts et règlement intérieur du BURIDA, les
points qui lui en donnent le droit, pour trouver des voies de sortie de crise. La
tutelle peut, par exemple, installer un
Comité provisoire de Gestion à la tête duquel sera nommé un Responsable ayant, le
temps de cette forme de transition, les prérogatives d’un PCA. La mission de ce
dernier doit être clairement définie et limitée dans le temps.
Quelles
sera la mission de ce comité, selon vous ?
Sa mission, selon mon
point de vue, peut se décliner en trois points. Premièrement, permettre que
BURIDA fonctionne normalement, deuxièmement mettre une équipe en place pour
toiletter les textes du BURIDA qui ont besoin d’être actualisés, troisièmement,
enfin, procéder à une révision de la liste électorale en toute transparence. Ce
troisième point doit être réalisé avec rigueur, en espérant, à défaut d’une
unanimité, d’un consensus.
Entre la nomination d’un PCA et son élection,
quel est votre préférence.
Je n’ai
pas à faire un choix. Les textes actuels indiquent la voie de l’élection. Cette
voie malheureusement est source de tensions comme si notre pays a du mal à
organiser honnêtement une élection à tous les niveaux. Dès qu’on parle
d’élection, il y a des querelles, des menaces de mort, de la corruption. Alors,
qu’est-ce qu’on fait ? Avant que l’élection ne se tienne, il faut procéder
par une transition et créer les conditions de l’accalmie et la transparence.
Dans tous les cas, il faut s’appuyer sur les textes. Voilà pourquoi je propose
que les textes soient toilettés selon les mécanismes prévus. Après quoi, selon
les résultats, on peut envisager la nomination d’un PCA si cela est adopté dans
la nouvelle mouture des statuts et règlement intérieur.
Ce que je crois savoir est
que par le passé, des PCA avaient été nommés. Joseph-François Amon d’Aby, Anoma
Kanié, Tchotche Mel, Gaston Ouassénan et
Bernard Zadi ont eu à administrer le BURIDA. Ils ont accédé à ce poste par
nomination. Et à l’époque, il y avait moins de bruits dans la maison.
Que doit être, à votre avis, le profil du PCA
du BURIDA ?
À mon avis, le profil doit
être corsé. Le PCA doit avoir une expérience dans la gestion administrative. Ce
n’est pas parce que tu es un bon musicien ou écrivain que tu as la garantie
d’être un bon administrateur. Il faut avoir de l’expérience. En plus, il faut
que le PCA soit d’une bonne moralité ou du moins jouir d’une bonne réputation.
Pourquoi dans cette querelle pour contrôler
le BURIDA, ce sont toujours les musiciens qui sont les plus en vue ? On a
l’impression que les écrivains sont noyés.
Les
musiciens sont simplement les plus nombreux. 10 000 musiciens environ.
Alors que les écrivains ivoiriens (qui ne sont pas tous sociétaires du BURIDA)
sont environ 500. L’écart est énorme. Mais La quantité ne rime pas toujours
avec la qualité. Un musicien comme tout autre sociétaire, écrivain, cinéaste,
peintre, comédien etc. peut bien diriger le BURIDA mais il faut qu’il en ait la
qualification, un profil digne. Alors si le critère du nombre est mis en avant,
les écrivains sont et seront toujours noyés. Et les musiciens seront toujours à
la tête. Il faut sortir de ce schéma. Au niveau de l’AECI, nous avons lancé une campagne de
sensibilisation pour que les écrivains adhèrent au BURIDA massivement. Les
écrivains ont du mal à se retrouver dans un univers où l’on ne s’impose que par
le flot des injures, l’outrecuidance ou le triomphe des muscles. Dès lors qu’on
évoque le BURIDA, ils pensent à un lieu de pugilat. Nous allons faire en sorte
que les écrivains d’ici un an soient, dans leur écrasante majorité, membres du
BURIDA.
Interview réalisée par N. S. K
In Le Temps N° 4810 du mercredi 30 octobre
2019